La chute tragique, une introduction

Avec la série "Heterotopia, La chute tragique", je m’intéresse à l’altérité radicale de lieux dont on ne vient plus perturber la lente existence, à ces espaces qu’on laisse là, dépossédés de leurs sens et de leurs fonctions, à ces étendues complètement autres, hors de toute expérience quotidienne.

 

Les lieux de cette série sont surdéterminés en tant qu’hétérotopie. Ils me fascinent pour eux-mêmes, pour ce mode propre qui est le leur, celui du doute et de l’inachèvement. Je les surprends à cet instant tangent, quelque part entre vie et mort, croissance et dépérissement, entre être et non-être, perpétuellement au bord de l’effacement. Ils sont des sédimentations, celles du temps accumulé, resserré en eux. Le passé et le futur se rejoignent dans une temporalité qui n’est plus fléchée. Le lieu et l’espace donnent à voir le temps, cet éternel irreprésentable.

 

Les architectes contraignent et contrarient la nature pour ériger des formes ascendantes. Inversement, la nature exerce ses forces descendantes sur le bâti. La série "Heterotopia, La chute tragique" révèle cette lutte constitutive de l’architecture, cette tension au cœur de l’art et de la culture.

 

Quand je vois une ruine, aucun doute, je sais qu’il s’agit d’une ruine. Par contre, dès que j’essaie de définir ce qu’est une ruine, je me trouve devant un problème majeur. A partir de quel moment une construction devient-elle ruine ? Quel degré de fragmentation fait basculer de l’autre coté ? L’idée de la chute tragique permet de sortir de cette impasse quantitative qui conduit paradoxalement à conclure à l’impossibilité de définir la ruine.

 

"La chute tragique" part du postulat que l’existence d’un lieu passe nécessairement par deux moments. A une phase ascendante du bâti, jeunesse glorieuse qui fait la joie et fierté des architectes succède inévitablement une phase descendante caractéristique de la nature reprenant ses droits. Ce dernier moment, je l’appelle "chute tragique".  Une rupture, plus ou moins violente,  précipite l’existence du lieu d’une phase a l’autre, ce moment séparateur je l’appelle "pivot dramatique".